AFRIQUE DU SUD ET PRODUCTIONS INTERNATIONALES
- Laurence Benhamou

- 7 juil. 2021
- 9 min de lecture
S.c.r.i.p.t. : Afrique du Sud - cinéma et enjeux contemporains
Presses Universitaires de France, Février 2021
L’Afrique du Sud est devenue, en moins de 20 ans, un pilier du cinéma africain et la destination préférée sur le continent des tournages étrangers, offrant par la diversité de ses paysages et opportunités de financement (aides, coûts de production et taux de change favorables permettant des réductions budgétaires conséquentes), un panorama d’options alléchantes pour les blockbusters internationaux tels que le dernier volet Avengers: Age of Ultron avec Robert Downey Jr. (2015) et de Mad Max: Fury Road avec la sud-africaine Charlize Theron (2015), ou encore Invictus de Clint Eastwood (2009) et Lord of War avec Nicolas Cage (2005). Ce dernier a été principalement filmé à Cape Town dont la ville et ses environs furent utilisés pour quelques cinquante-sept lieux différents figurant dans le film dont le Moyen- Orient, l’Afghanistan, la Bolivie et le Sierra Leone.
Le cinéma sud-africain lui-même, fortement soutenu par l’Etat, est de plus en plus présent dans les festivals internationaux et ne cesse d’être récompensé. On peut citer le film Tsotsi du réalisateur sud-africain Gavin Hood (Academy Award du Meilleur Film Etranger, 2006), et le thriller sci-fi District 9 du réalisateur sud-africain Neil Blomkamp, coproduit par Peter Jackson, nominé pour quatre Academy Awards dont Meilleur Film (2010). De plus, l’Afrique du Sud est un pays anglophone, facilitant les tournages anglo-saxons, et qui dispose de professionnels hautement qualifiés et d’une excellente infrastructure et capacité de production, sans mentionner le beau temps qui facilite les conditions de tournage.
L’attrait de l’Afrique du Sud ne s’arrête pas aux paysages et facilités de production. La scène artistique sud-africaine, et son vivier de talents anglophones sont prisés d’Hollywood, révélant des étoiles comme Charlize Theron, à l’affiche du dernier Mad Max justement, superstar hollywoodienne et égérie de notre chère Maison Dior; ou encore Lupita Nyong’o, primée aux Academy Awards pour son rôle poignant dans 12 Years a Slave du réalisateur Steve McQueen (2013); ou Arnold Vosloo, familier des blockbusters hollywoodiens comme l’excellent Blood Diamond avec Djimon Housou et Leonardo DiCaprio qui a été justement tourné en Afrique du Sud (2006).
Soulignons que le cinéma sud-africain mainstream a depuis toujours été fortement inspiré par le cinéma étranger, en particulier hollywoodien pour le style narratif et la cinématographie. Par conséquent, les films sud-africains séduisent les distributeurs plus que les films structurés sur un autre format, moins commercial, en raison de leur propension à être distribués et à attirer les spectateurs à l’international. La prise de risque est donc diminuée, le marché existant.
De plus, l’Afrique du Sud présente des thématiques historiques, culturelles et idéologiques fortes qu’affectionnent les scénaristes hollywoodiens. Des films d’aventure se déroulant sur fond de safari, aux injustices de l’apartheid et à l‘héroïsme et l’idéologie de Nelson Mandala, le pays regorge de sujets d’inspiration. Ces thématiques ont par ailleurs été largement alimentées par la vague de films d’auteur sud-africains, dont le mouvement dénommé “Critique” qui accéléra l’abolition de l’apartheid à la fin des années 80.
Le développement du secteur cinématographique a été largement soutenu par le gouvernement sud-africain qui l’a assez tôt identifié comme un secteur économique porteur et créateur d’emplois, rapportant aujourd’hui plus de R3,5 million (environ 20 millions trois cent mille euros) par an du PIB.
L’Afrique du Sud a également renforcé sa collaboration avec les autres pays d’Afrique, notamment francophone, dont son voisin le Zimbabwe, fervent hôte lui-aussi de productions internationales et dont le cinéma s’est depuis toujours très bien exporté à l’international dans le circuit des festivals notamment.
Prenons l’exemple de la télévision, plus représentatif et intéressant à évaluer que le box
office, étant donné la rareté des salles de cinéma en Afrique du Sud. Ainsi, avec plus d’un milliard d’utilisateurs, la ruée vers le marché africain de la télévision payante rappelle celle vers l’immense marché chinois. Les géants Viacom, Disney et Fox y ont d’ailleurs ouvert une antenne, déployant de là leurs propres bouquets numériques à toute l’Afrique, tout en continuant de diffuser leurs programmes sur les chaînes locales. Viacom lança sa première chaîne africaine en 2005 et possède aujourd’hui un riche portefeuille de chaînes internationales avec plus de 100 millions d’abonnés répartis dans 52 pays, gérés principalement depuis les bureaux en Afrique du Sud. Rappelons aussi que l’Afrique est amatrice de chaînes sportives et de chaînes de divertissement tout public. On peut aisément imaginer le marché aussi bien au niveau des facilités de production locales que du marché potentiel pour les programmes que représente l’Afrique pour Fox International et son bouquet National Geographic, ou pour le catalogue de marques Discovery, qui produisent aussi localement une grosse partie de leurs productions. Les studios l’ont bien compris, l’Afrique du Sud représente une position stratégique pour la pénétration de l’énorme marché africain et l’intensification des échanges culturels et commerciaux.
Aujourd’hui, de nombreuses productions à haut-profil se tournent à Johannesburg et dans les studios construits aux alentours de Cape Town, longs-métrages aussi bien que séries télévisuelles, telles que celle populaire sur les pirates “Black Sails”, dont le tournage a débuté en 2013 et devrait durer cinq ans.
Quels sont donc les avantages et aides financières dont peuvent bénéficier les cinéastes et producteurs internationaux souhaitant impliquer l’Afrique du Sud? Les nombreux dispositifs mis en place par l’Etat via la Fondation Nationale du Film et de la Vidéo, la Société de Développement Industriel, et le Ministère de l’Economie, en font l’investisseur principal dans la production audiovisuelle nationale. Les subventions s’adressent bien entendu aux productions nationales et internationales, dont les longs-métrages et les séries télévisuelles gros budgets hollywoodiens et européens sont des cibles privilégiées, et créditent les tournages et les prestations liées à la post-production. Il convient de noter également que les distributeurs et les agences de communication et de promotion des films et oeuvres audiovisuelles bénéficient eux aussi de cette politique. L’importance de l’industrie cinématographique est telle qu’il existe quatre commissions régionales de film en Afrique du Sud: Cape, Gauteng, Eastern Cape et Durban, chacune promouvant activement sa région et infrastructures.
Les producteurs disposent de plusieurs options lors du développement d’un projet audiovisuel, soit long-métrage, soit série télévisuelle. Ils peuvent décider de conserver l’intégralité de leurs droits et d’employer un producteur exécutif ou société de services assurant la production physique de l’oeuvre en Afrique du Sud, par exemple. Dans ce cas, l’oeuvre demeurera une oeuvre étrangère et les producteurs auront accès au bénéfice des dispositions réservées aux tournages étrangers. Pour n’en citer que quelques uns, il existe un crédit d’impôt à hauteur de 20% sur le coût de production de tournages en Afrique du Sud qui est ainsi disponible aux productions d’un budget d’un minimum de R12 million (1.4 millions d’euros). De plus, une réduction fiscale de 22,5% à 25% s’applique aux productions dont le tournage et la post-production (dont les charges doivent s’élever au-moins à R1.5 million (soit 170.000 euros), ont lieu en Afrique du Sud.
Alternativement, les producteurs étrangers peuvent décider de conclure un accord de
coproduction internationale par lequel un producteur sud-africain s’engage à coproduire et
financer l’oeuvre avec les autres producteurs. Dans ce cas, le coproducteur sud-africain s’engage notamment à produire et financer la partie du tournage en Afrique du Sud, à organiser la production et casting locaux, et devient copropriétaire des droits sur l’oeuvre à hauteur de sa contribution au budget. De nombreux dispositifs existent favorisant les coproductions, tels que des prêts et des subventions ainsi qu’un crédit d’impôt de 35% s’appliquant aux premiers R6 millions (soit environ 700.000 euros) dépensés sur le territoire diminué ensuite à 25% pour le solde du budget.
Il existe également un crédit d’impôt intéressant pour les producteurs indépendants, sous la Section 24F du Code des Impôts (Income Tax Act), qui permettra déduction du coût de production d’un film des revenus du titulaires des droits sur ledit film; incitant ainsi l’investissement privé dans le secteur.
Un des avantages incontestables des coproductions internationales consiste à doter l’oeuvre audiovisuelle de la nationalité des pays coproducteurs, et de leur permettre ainsi de bénéficier des aides et subventions, et autres avantages fiscaux réservés aux oeuvres nationales, mais aussi de les rendre plus attractives pour les distributeurs et diffuseurs qui sont en demande d’oeuvres nationales, ayant des obligations légales de quotas à remplir en Europe notamment, pour les oeuvres qu’ils diffusent.
L’Afrique du Sud a conclu des traités de coproduction cinématographique et audiovisuelle avec huit pays: Canada, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, France, Australie, Nouvelle Zélande et Irlande. Ainsi, toute coproduction répondant aux critères du Traité correspondant est qualifiée de production nationale dans chacun des pays coproducteurs, et est alors éligible aux aides et autres avantages offerts aux oeuvres nationales par chaque pays coproducteur. L’Afrique du Sud a également signé un Accord simplifié relatif aux coproductions cinématographiques avec l’Inde. Les conditions requises pour qu’une oeuvre bénéficie des avantages liés aux coproductions officielles varient d’un accord à l’autre, mais certaines se retrouvent comme les conditions d’agrément, de lieu de tournage ou de nationalité des collaborateurs du film. En règle générale, les producteurs ainsi que les collaborateurs artistiques et techniques doivent être ressortissants ou résidents permanents des pays à la coproduction; le coproducteur national doit détenir au-moins 20% des droits du film, la contribution financière de chaque coproducteur est en principe proportionnelle à sa quote-part est rarement accepté); le tournage ou/et la postproduction doivent être réalisés dans l’un des pays de l’accord; une approbation administrative préalable dans chaque pays est également exigée avant le début du tournage, ainsi qu’une approbation définitive après réalisation du film et préalablement à son exploitation; la langue de tournage est également souvent un critère important.
Ainsi, un film ayant reçu le cachet de coproduction officielle reçoit la double nationalité et peut ainsi bénéficier des aides à la production disponibles dans chaque pays coproducteur, accordées aussi bien au niveau national que régional, mais aussi international. Par exemple, un film français pourra bénéficier des aides françaises mais aussi européennes, telles que le programme de coproductions européennes Eurimage, ou encore Cartoon pour les films d’animation. Au niveau français, les coproducteurs avec l’Afrique du Sud peuvent bénéficier d’un dispositif public mis en place par le CNC, l’Aide au Cinémas du Monde, dont le budget total s’élève, en 2015, à 6 millions d’euros. Chaque année, une cinquantaine de projets sont soutenus.
Soulignons également que l’accès à de nombreux avantages nationaux est souvent conditionné par la nationalité du film et réservé aux coproductions majoritairement détenues par le producteur national. Ce protectionnisme culturel issu d’une intention politique affirmée de favoriser les créations nationales, notamment pour protéger les auteurs, éviter la fuite des capitaux publics vers l’étranger, et originellement aussi pour ne pas laisser les écrans se faire envahir par les productions étrangères (notamment hollywoodiennes), a été institutionnalisé sous le nom d’“Exception Culturelle”, dont le principe a été érigé en droit fondamental d’un pays où les auteurs sont par principe les mieux protégés (le “droit d’auteur” de part son nom désignant le “droit” protégeant les “auteurs”, à la différence du “copyright” désignant le “droit” protégeant la “copie”...) Souvenons-nous de l’affaire du film “Un Long Dimanche de Fiançailles” du réalisateur français Jean-Pierre Jeunet à propos duquel la Cour d’Appel de Paris avait marqué sa position en considérant que le Centre National de la Cinématographique (CNC) n’aurait pas dû donnerson agrément au film produit par une filiale française du studio américain
Warner, et avait exigé le remboursement de l’avance sur recettes et autres aides perçues (4 millions d'euros entre les aides accordées à l'exploitation, la distribution en salles et la vidéo), afin de prévenir la fuite des capitaux vers le studio américain Warner Bros....
Une coproduction officielle pourra aussi se vendre plus facilement auprès des diffuseurs nationaux, et notamment les chaînes de télévisions, qui contribuent ainsi financièrement au développement des projets en amont par des pré-ventes et le versement d’un minimum-garanti (MG). La plupart des chaînes nationales et des distributeurs en général, ont des obligations légales d’acquérir les droits et de diffuser un certain nombre d’oeuvres nationales. Il est donc logique qu’une coproduction internationale entre la France, l’Afrique du Sud et le Canada (avec qui l’Afrique du Sud et la France ont signé des traités respectifs), par exemple, attirera l’attention des distributeurs dans chaque pays coproducteur car répondant à ses quotas obligatoires de films nationaux, et générera aussi plus de “buzz” sur les marchés de film. Il convient de noter aussi que l’Afrique du Sud n’a pas signé de traité de coproduction avec les Etats-Unis, tout comme la grande majorité des pays, soucieux de protéger leurs écrans et fonds publics des aimants hollywoodiens.
Dans une interview récente, Greig Buckle, le producteur sud-africain chargé de gérer la partie sud-africaine des blockbusters Lord of War (2005), Starship Troopers (2008), Chronicle (2012), et récemment Mad Max : Road Fury (2015), souligne l’augmentation du nombre de productions internationales qui choisissent de tourner en Afrique du Sud et en vante les avantages évidents: la majorité de la population maîtrise l’anglais, la plupart des grosses maisons et laboratoires, comme Panavision, sont présentes dans le pays, les salaires et charges sociales représentent environ 30% ou 40% de moins qu’en Europe ou en Amérique, le taux de change est avantageux, les paysages sont variés et les studios nombreux, et les aides et réductions budgétaires disponibles pour les coproductions internationales sont assez souples et avantageuses pour les producteurs.
L’Afrique du Sud présente donc des attraits non négligeables pour les productions internationales et s’impose aujourd’hui comme une lumière du Cinéma de ce nouveau siècle.
Références
Republic of South Africa Department of Trade and Industry: Programme Guidelines: Foreign Film and Television Production and Post- Production Incentive (march 2015)
GYORY, Michel, Cinema and Television - International Coproduction Contracts: Legal Problems and Information Needed - European Centre of Research and Information for the Cinema and the Audiovisual Sector
https://audioboom.com/boos/3174259-bof-66-co-production-in-south-africa-with-greig-
buckle
http://pinterest.com/pin/create/button/url=www.hollywoodreporter.com/news/avengers-ultron-mad-max-fury793176&media=http://www.hollywoodreporter.com/sites/default/files/imagecache/news_landscape/2015/05/mad_max_fury_road_still.jpg&description=From 'Avengers:Ultron' to 'Mad Max: Fury Road': Why Hollywood Is Hot on SouthAfrica
http://www.southafrica.info/business/economy/sectors/film.htm#new

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